Interview
"En silence" Entretiens avec Frédérique Petit Par Alma Charry

On peut commencer par cette omniprésence de la nature dans ton travail, ce rapport à la nature. Comment te places-tu au sein de la nature?

Il est évident que je suis extrêmement sensible aux cycles de la nature, des saisons. J'ai le besoin de faire pousser, de regarder les graines germer, j'aime ce contact avec cette terre d'où tout part et vers laquelle tout retourne. Il y a donc ce contact physique avec la nature, mais aussi un rapport plus contemplatif. La beauté des nuages, la beauté du jour, la beauté d'un ciel étoilé, des formes des arbres, des fleurs, les infinies variations de lumière. Ce sont des modèles inconscients, c'est certain. Ce qui me touche aussi c'est le côté éphémère de la nature, du cycle sans fin. Ça meurt mais ça revient, et ça renaît. Ça me semble essentiel, c'est aussi ce qui apporte de l'équilibre, parce que ça te remet à ta juste place. Mais j'aime aussi la ville, l'architecture, les emboitements, les intérieurs à travers les fenêtres allumées, les gens aux terrasses des cafés.

Justement, comment te places-tu, en tant qu'être humain dans la nature?

Je me place toute petite au milieu de tout ça, avec comme chacun d'entre nous ma modeste contribution, ma petite part d'histoire de cette humanité phénoménale. Et je suis là, toute petite, j'en fais partie mais je veux quand même laisser une trace, alors je fais quelque chose pour ne pas disparaître trop radicalement. Ça pourrait paraître assez prétentieux, mais c'est le moyen de lutter contre ce fait irrémédiable: on est si petit et on va disparaître.

On fait tous des choses pour laisser une trace, comme quand on fait des enfants. Je ne pense pas qu'on puisse parler de prétention, c'est très humain. Et d'ailleurs parmi les mots que je poserais pour définir ton travail, il y a «modestie».

J'ai beaucoup de mal à affirmer d'une manière péremptoire ce que je fais et pourquoi je le fais, c'est certain. Mais personne ne m'empêchera de le faire. C'était bien ce que tu avais écrit là, «on imite le principe des choses et non pas les choses».

Oui, c'est la pensée classique, j'avais adoré quand on nous racontait ça en philosophie: l'art, c'est une re-création, et non pas une simple imitation.

En ce moment je suis en train de lire un livre de Gaspard David Friedrich, dans lequel il critique certains peintres à succès de son époque, et il revient toujours là dessus, sur l'artificialité de certaines oeuvres, leur manque de profondeur; elles sont parfaitement exécutées, magnifiques mais sans âme. Ça revient beaucoup l'âme, «Gemüt». Pour moi il n'est pas question que la technique, parce que je suis plutôt une bonne technicienne, prenne le dessus sur le fond. À chaque fois le plus important est ce que j'ai envie d'exprimer. Il n'y a jamais l'envie de copier, de reproduire quelque chose. Et «on imite le principe des choses et non pas les choses», c'est donc exactement ça. C'est comme ça que tu peux entrer en communication avec des gens qui sont sensibles à ton travail, parce que tu parles à leur esprit, à leur âme. Et c'est difficile à exprimer, mais disons que la nature contient un certain mystère face auquel on ne peut qu'être humble. Si tu parviens dans ton travail à recréer ce mystère, et bien tu touches à quelque chose de profond.

On retrouve ce rapport dans ton travail, quelque chose qui touche directement à la vie humaine, aussi parce qu'il contient (avec les Fossiles, ou bien Les Compagnes) cette idée de chemin, de parcours...

C'est essentiel. Les premières tapisseries que j'ai faites dans les années quatre-vingts étaient souvent une suite de plusieurs images, avec un évènement qui passait d'une image à l'autre; et dans certaines les images s'effritaient. Je me souviens très bien qu'il y avait cette notion de temps qui s'écoule, des souvenirs qui s'effilochent. Cette notion est maintenant encore plus tangible, car ce sont de longs rouleaux, des rouleaux que j'aimerais faire encore plus long, ou même infinis. Donc la notion de parcours est inclue là dedans. Ce temps qui s'écoule, qui me mène vers quelque chose.

Et là, est ce que c'est seulement le parcours qui t'intéresse ou bien l'idée qu'on va vers quelque chose, une finalité?

C'est que l'on va vers la disparition, c'est sûr, mais en même temps on laisse une trace, donc il n'y a pas de problème! Les cailloux semés -je n'y avais pas pensé- c'est l'idée de semer ses cailloux pour s'y retrouver, comme dans Le Petit Poucet. Il y a l'idée de la vie comme un parcours, qui va vers la fin, mais avec cette trace on reviendra vers toi. Et c'est aussi un thème, très récurrent d'ailleurs dans la littérature romantique allemande qui me touche beaucoup, qui est le voyage initiatique, l'apprentissage perpétuel de la vie, évidement bien plus dans la jeunesse, parce que arrivée à mon âge il y a des choses qui se stabilisent et qu'on essaye d'approfondir. Maintenant j'essaye d'approfondir ce que je sais, d'éliminer le superflu et de me concentrer sur l'important. C'est sans fin, pour moi c'est comme le piano, l'apprentissage n'est jamais fini, on peut toujours aller plus loin, se perfectionner. Et dans mon travail ça se passe comme ça aussi, ça s'épure, je vais vers l'essence des choses.

Au fur et à mesure du chemin parcouru, tu fais le ménage. Tu continues d'avancer mais dans des choses plus rangées, plus choisies.

Oui c'est vraiment ça, l'essence des choses. J'ai toujours été très sensible à la couleur par exemple, surtout dans la nuance. Et depuis un certain temps, je l'utilise par petites touches, ça me parle plus que par grand aplats.

Comme si tu les avais apprivoisées.

Voilà. J'ai apprivoisé beaucoup de choses maintenant. À présent je me suis affranchie de la technique, elle est mise au service de ce que je veux exprimer.

C'est vrai que si maintenant tu maitrises la technique, ça te permet de la dépasser car tu es capable d'une expression plus proche de toi, plus directe.

Même si je maîtrisais la tapisserie, la technique était contraignante: tu es forcée de commencer par le bas et d'attendre patiemment que ça monte, et tu n'as jamais de vision d'ensemble de l'image. C'est plus une technique de l'interprétation de maquette ou d'un tableau qu'une expression directe et libre. Alors qu'avec la broderie, tu as ton aiguille, ton fil, la page planche (ton morceau de tissu) et tu peux aller ou tu veux, y revenir, c'est beaucoup plus proche du geste du dessin ou de la peinture. Et c'est d'ailleurs une libération de découvrir ça. C'est depuis cette découverte que j'ai l'impression d'avancer et d'aller vers d'autres modes d'expression, comme le volume par exemple, et surtout de sortir des petites dimensions, de ne plus être contrainte par la taille. Je m'étais «spécialisée» dans le miniature et c'était une taille dans laquelle je me retrouvais mais c'était également une contrainte vers laquelle ma technique m'avait amenée: Je ne voulais pas faire faire mes pièces, seule je pouvais réaliser ces petites tapisseries. Là-dedans j'ai développé quelque chose de personnel, qui me caractérisait et j'en étais un peu prisonnière. Au contraire maintenant toutes ces questions liées à la technique n'ont plus d'importance. Le lien avec moi-même est direct, et donc le propos est plus personnel, plus profond.

Je me demandais aussi comment ça se passait, tes idées et tes mises en forme.

Cela tient un peu du miracle à chaque fois. Il y a une image, une idée qui passe subitement au milieu d'autres pensées. Il arrive qu'elle s'éteigne aussi vite mais si elle persiste, je la note. Et parmi ces idées, il y en a qui dorment encore dans les carnets au bout de plusieurs années. Les moments où cela arrive sont souvent imprévisibles, même si la douche ou la voiture sont des lieux privilégiés pour l'inspiration! Il y a toujours des enchaînements, ça ne vient jamais de nulle part. Il y a un déclencheur qui vient de quelque chose qui a été fait avant. Il y a une logique d'un projet à l'autre.

Oui, par exemple des éléments qu'on voit dans tes marcheuses, et qui se retrouvent dans les cailloux plus tard.

Oui, les Compagnes s'inscrivent dans une logique évidente. Quand on est arrivés dans la maison, j'ai récupéré les papiers peints. Et puis un jour, je me suis dit que j'allais faire quelque chose à partir de ça, des fragments de sols et de murs, ce qui a donné l'Inventaire de la Ferronnière. Et donc dans ces papiers peints, il y avait ces marcheuses. Je me suis rapprochée de ce motif, et il contenait justement cette notion de marche, d'apprentissage, des références à des livres comme L'homme sans postérité de d'Adalbert Stifter qui sont pour moi fondateurs. C'est pour ça que je l'ai ai utilisées après dans une nouvelle série, et surtout je me suis reposée sur ces deux personnages pour faire un passage initiatique. Elles m'ont aidées à passer le pas entre la tapisserie et ce que je fais aujourd'hui. Ça a été toute cette série des Travaux et les jours. Elles m'ont suivies sur ce long chemin tout en me posant toutes sortes de questions. Ce n'est peut être pas la série que je préfère mais elle est très importante pour moi; aussi parce que c'était une période difficile, ça m'a vraiment rendue malheureuse car je quittais quelque chose dans lequel j'étais bien, la tapisserie, et je ne savais pas ce qui m'attendais, j'avais peur de ça. Et d'ailleurs cette série contient toutes sortes de questions, «où vais-je?», «où suis-je?», écrites ton sur ton. Les Compagnes ont été essentielles, jusqu'à ce que le passage ait été fait, et que je n'aie plus eu besoin d'elles. Et ensuite, d'une chose à l'autre, j'en arrive à ce que je montre aujourd'hui dans cette exposition. Maintenant cette logique est peut être devenue moins visible, parce que l'enchaînement des projets s'est accéléré et diversifié.

Oui, on sent que tu es plus libre. Tu es submergée par plein d'idées, tu n'as presque pas le temps de toutes les réaliser! En tout cas c'est très sage comme vision de la vie.

Je ne sais pas si je suis très sage, disons que mon travail est le moyen que je me donne pour m'apaiser. C'est primordial. Mais au fond je suis agitée par beaucoup de choses.

C'est ce qui est incroyable, tu es une personne très calme d'apparence, ton travail aussi est très harmonieux et calme. Très mesuré, tempéré.

Je ne suis pas quelqu'un d'extraverti, je n'étale pas mes sentiments dans mon travail. Il exprime quelque chose auquel j'aspire profondément, ce calme, cette harmonie, que je ressens d'ailleurs aussi: On est plein de contradictions et de paradoxes.

Il est parfaitement logique que les gens les plus calmes et les plus mesurés aient en même temps de grandes tempêtes à l'intérieur. Tu ne te sens jamais seule parfois?

Si, souvent. D'abord parce que mon travail est très confidentiel. Pourtant j'aime communiquer, mais souvent je ne me sens pas comprise, et ça peut accentuer le sentiment de solitude. Mais je ne suis pas seule dans la vie, je suis bien entourée. La série des Mots silencieux cherche à exprimer ce sentiment. Les mots sont là avec toute leur force, leur sens, leur histoire, mais ils sont parfois inefficaces à exprimer ce que l'on ressent profondément.

Les images que tu évoques dans ton travail sont toujours très silencieuses; les paysages, la nuit...

Oui, et le titre de l'exposition s'est imposé comme ça aussi; le silence. C'est le silence des pierres, le silence des nids vides, des papillons, de la terre. Je n'ai pas travaillé délibérément dans ce sens là mais en prenant du recul, j'ai constaté qu'effectivement tout était très porté par le silence. C'est peut-être lié à notre mode de vie, à la campagne, nous sommes environnés de silence et j'y suis donc sûrement plus sensible. Mais comme en musique le silence parle. C'est vivant le silence. Et puis on est jamais vraiment dans le silence, ça n'existe pas de toute façon.

Oui on parle du silence entre deux choses, mais ça n'existe pas dans l'absolu. C'est pour ça que ça crée de petits moments retenus.

Ce sont des ponctuations. D'ailleurs, les mots silencieux je les avais titrés par des ponctuations. C'étaient des ensembles de mots, comme des idéogrammes, et il y avait la traduction en ponctuations.

Puisqu'on parle de ta nouvelle exposition, dis-moi comment ce thème se retrouve dans tes nouveaux travaux, les papillons par exemple.

Les papillons, c'est encore une fois en prenant du recul que le lien m'est apparu évident. Ça découle de l'Harmonie Mesurée. J'ai fait des pages de musique, blanc sur blanc, mais il y a des motifs qui se détachaient, beaucoup de ronds ou d'ovales, peut-être parce que je pensais à l'écriture de la musique mais aussi parce que je pensais aussi aux nids. Après cette série j'ai eu l'idée de faire des nids blancs. J'ai fait une maquette, ajouté des lignes qui pouvaient faire penser à une branche. Une fois terminée, je l'ai posée sur un carton de publicité pour des bas que j'avais gardé, une image des années 50. Et il se trouve que par transparence on voyait la couleur, ce qui donnait un très joli effet. C'est resté comme ça dans mon atelier, le fondement est là. Ensuite pour les papillons, j'ai pensé à la Chine, à l'imagerie populaire et aux couleurs vives de la soie. Je me suis dit que ce serait un projet à réaliser en Chine. Mais c'est après que je me suis rendue compte qu'il y avait un lien entre les papillons, les nids et le silence. Ephémères, silencieux et mystérieux. Parce que ces papillons, on sait un peu comment ils naissent, mais moins comment ils vivent. L'envol des papillons est donc né comme ça. Puis en jouant encore avec la transparence, j'ai accroché une pièce devant qui laisserait entrevoir ces papillons magnifiques mais qui sont trop beaux pour être montrés tels quels. Ça revient à ce qu'on disait au début, au paysage parfaitement exécuté: de cette manière ils sont mis en vie, ils sont fugaces, apparaissent et disparaissent.

Alors pourquoi tu en as enfermé d'autres?

Ça je ne l'ai compris qu'il y a peu de temps. Ça peut sembler un peu violent. Au début j'ai douté, je me suis dit qu'il ne fallait pas les intégrer à l'exposition. Puis j'ai fini par me les approprier. Finalement, ils ne sont pas prisonniers dans cet emmêlement de fils de fer. Je crois que cela évoque seulement une sorte de chrysalide, de nid. Mais il n'y a rien de cruel, puisque cela suggère qu'ils vont en sortir. Ils sont prisonniers d'eux-même mais ça ne va pas durer, encore une fois il y a mouvement, devenir. J'aime bien cette étape ou tu laisses reposer, pour revenir et voir si ça a du sens, du fond. Souvent avec le temps tu vois que certaines choses s'affadissent perdent de leur sens. Avec la préparation de l'exposition, tout s'est enchaîné très vite et je manquais parfois de ce recul si important, et c'est pourquoi j'ai douté à propos des papillons emprisonnés. Mais, je suis tellement habitée par ce projet qu'à la place d'un recul dans le temps, je fais confiance à l'expérience acquise au cours de toutes ces années en espérant qu'elle ne me trahira pas!

Entretiens réalisés entre février et mars 2012
Textes / Catalogues
Dépasser la technique et poursuivre tout en légèreté sa recherche créative, c'est le propos de Frédérique Petit qui découvre dans la transparence du voile de coton un nouveau défi auquel se confronter.

Certains parcours de vie ressemblent à une quête initiatique. La création développe et favorise cette recherche constante et sans limite. C'est à ce voyage que nous invite Frédérique Petit. Immortaliser tous les liens entre générations dans des tapisseries miniatures procède d'une démarche rigoureuse, quasi scientifique. Car c'est l'infiniment petit qui fascine l'artiste, ce monde microscopique qui recèle en lui-même d'incroyables richesses. Pour tisser ces œuvres étonnantes, Frédérique Petit s'est enrichie au fil du temps, de toutes les techniques textiles susceptibles de l'aider. Ainsi, « Histoires de tapis » une série virtuose de cent tapis – de 50 cm3 environ–, réalisés au point noué selon la tradition, nous entraînait dans des cultures différentes, distillant grâce et poésie.

Puis Frédérique Petit a privilégié une conception plus rapide « les travaux et les jours », un élan où la prouesse technique s'efface au bénéfice d'un langage immédiat. Dans un désir de dialogue, le discours intérieur s'imprime sur la toile en quête de réponses. Inspiré par le modèle du roman d'apprentissage, deux compagnes, issues des motifs du papier peint de la Ferronnière, promènent dans chaque tableau leur questionnement auquel les auteurs –Montaigne, Anna de Noailles, Apollinaire, Baudelaire– tentent d'apporter une réponse. Interrogations existentielles, recherche d'une harmonie, chaque détail compte : la jupe de la femme, petit carré tissé en quelques jours, les lettres brodées au point de Beauvais lequel met en valeur l'écriture sur la toile. Pendant plus d'un an, l'artiste a cheminé, laissant ses pensées divaguer, avec une soif intense d'expression pour découvrir le point d'équilibre entre création et vie privée.

Au fil du temps, s'impose le relief. Arbre ou détail de la composition cherche à sortir de la toile, remplacé peu à peu par des mots. Dans une nouvelle série minimaliste, le mot inscrit au premier plan – le fil a été entortillé sur le dessin des lettres en relief –, veut s'échapper du cadre, de son support textile où se marient composition technique et couleur. Les surréalistes utilisaient l'écriture automatique, Frédérique Petit s'en s'inspire, laissant librement ses mains traduire sa pensée, sans retenue aucune. Sur sa page d'écriture imaginaire, l'artiste a posé des mots, comme des papillons éphémères, légers, prêts à s'envoler dans le rêve ou la réalité. Et le dialogue existe, sonorités poétiques qui réveillent les liens intimes et magiques entre les êtres humains.

Cette démarche instinctive traduit le désir actuel de l'artiste : maîtriser la technique permet de l'oublier. « Comme en musique où le talent éclot dans toute sa maturité après de longues heures d'entraînement, mes gestes sont plus libres, je le sens », confie Frédérique Petit. C'est avec cette écriture légère et animée qu'elle compose sa nouvelle œuvre « Harmonie mesurée ». Vingt pages « musicales » qui intègrent des motifs où rouages, graphismes, lignes dynamiques suscitent le mouvement. Calligraphie poétique qui raconte par bribes et déclenche l'imaginaire ! C'est le début d'une histoire que chacun s'approprie. Le comble de l'harmonie est la simplicité du propos, des formes, des choix, une façon de souligner l'essentiel dans des tons épurés. Maintenues par le haut, ces pages vaporeuses, brodées au fil or et blanc seront mobiles au gré des souffles ambiants. Plus de cadre, si ce n'est une structure légère d'où la pensée s'échappe pour découvrir le monde, accompagnées dans leur parcours par les ondes musicales créées par Etienne Charry. Sans renoncer à sa rigueur de chercheur, la créatrice rassemble dans une même voix son amour de la musique et ce besoin de légèreté. A l'instar d'un électron libre, Frédérique Petit explore des sphères nouvelles pour atteindre une forme de sérénité donnant naissance à une nouvelle symphonie.

Maroussia BLUMENFELD
Extrait du catalogue pour l'exposition « Ballade » au musée du textile de Cholet- 2008
Des savoir-faire comme médium plastique !

Le besoin de s'exprimer en textile peut provenir d'antécédents familiaux : de traditions familiales. Pour certaines personnes cela devient une tare et pour d'autres personnes cela devient une matière à l'épanouissement, un moyen de s'exprimer pour un plasticien comme pour un technicien. Le textile est sans aucun doute le support le plus répandu dans le monde. Le textile suscite, de la part des spécialistes et des artistes, des prouesses et des hardiesses techniques sur tous les continents. Imaginez une carte du monde de la broderie, par exemple, et vous verrez apparaître presque tous les pays connus sur notre planète.

Depuis que l'homme observe la nature ; la faune et la flore, il crée du textile, et au fil des années il le fera évoluer aussi bien dans les gestes que dans les matériaux expérimentés. Comment ne pas imaginer pour l'homme l'influence de certains entrelacs de brindilles mis en place par une mésange ou bien la touffe de feutre conçu par le frottement instinctif et conjoint de deux moutons. Cette évocation poétique et néanmoins technique appartient au paysage de Frédérique Petit.

Dans les années 70 l'artiste apprend en autodidacte et réalise sa première tapisserie en 1974. Ensuite elle ressent le besoin de côtoyer « l'expression textile » de façon plus libre et rejoint Sheila Hicks, pour l'assister, entre autre, dans ses grandes pièces en broderies. Ensuite avec Marie Moulinier pour sa technique de tissage en lirette, petites bandes de tissus déchirées ou découpées régulièrement qui remplacent les fils de trame pour créer le décor. Toujours dans cette dynamique d'apprendre, l'artiste regarde et interroge d'autres savoir-faire, comme la dentelle ou la broderie, sans pour cela avoir le besoin de devenir une dentellière ou une brodeuse mais seulement dans le désir d'appréhender et de mémoriser le geste et l'esprit du savoir-faire pour en faire sa pratique artistique.

Frédérique Petit conçoit son œuvre dans l'émerveillement, celui de la découverte et de l'apprivoisement des techniques de textiles mais aussi celui de l'univers de ses sources d'inspirations. L'artiste s'installe avec sérénité dans la technique quand elle réalise ses premières « macros tapisseries » Le Cerf volant (1981) et La Pièce au tapis (1983) dans laquelle elle mixe les tissage de haute-lisse, comme aux Gobelins et celui du point noué comme à la Savonnerie, ces deux œuvres appartiennent à la collection du Fonds national d'art contemporain. Cette façon de s'exprimer est accomplie lorsqu'elle réalise la suite de tapisseries de La Ferronnière (1999-2001) et Fragments de sols (1993 2001) inventaire des motifs, fragments de papiers peints ou tessons de carrelage repérés, de façon archéologique, dans cette bâtisse, future nouvelle maison de l'artiste. Chaque relevé tissé nous promène dans de minis paysages qui à eux seuls possèdent leur propre autonomie. La réalisation de ces minuscules tissages est faite sur cadre et avec environ 20 fils au cm. De cette sorte d'inventaire il faut présenter aussi Histoires de tapis (1981 – 2001) une suite des 100 pièces qui sont tissées soit au point noué, rendus soit velours, soit façon point plats, comme une tapisserie au point plus épais. Dans cette même expression plastique et toujours avec l'aide de la macro tapisserie Frédérique Petit élabore une série d'hommages à certains grands maîtres de la peinture comme Henri Matisse et Reflets (1986), Juan Gris Á propos de Gris (1988-89) ou bien Fernand Léger et L'Homme à la pipe (2002) et Nature morte (2003) d'André Derain.

La technique du macro tissage installe l'artiste dans une attitude de recueillement, celle d'une cellule monacale, et positionne le spectateur dans un espace infinitésimal. Il faut physiquement rentrer dans ces minuscules « vedute » et prendre son temps, prendre le temps de la prospection, de la méditation, de la réalisation. Le temps de la production des suites peut se dérouler sur dix ans, c'est de ce travail dans le temps que surgit la création de Frédérique Petit.

En 2004 l'artiste met de côté le tissage de la tapisserie et aborde d'autres techniques, avec son habituelle curiosité, du comment et du pourquoi de l'apparition des techniques. Pourquoi telle personne a créé telle technique ? Tous ces étonnants savoir-faire, aux dimensions patrimoniales, nous embarquent dans une autre dimension et se retrouvent dans son œuvre. Dans sa démarche Frédérique Petit exprime son esprit libre et rêveur. Cela lui permet d'utiliser des techniques traditionnelles et aussi patrimoniales comme un médium poétique. L'essence de son travail se situe dans l'ouvrage d'artiste.

Yves Sabourin
Inspecteur de la création artistique.
Direction générale de la création artistique, Ministère de la Culture et de la Communication
Catalogue de l'exposition « Ballade » au musée du textile de Cholet : 2008
Un itinéraire artistique pourrait être comme une longue ligne droite mais, le plus souvent, en écho aux sensations de vie, il est fait de détours, de volutes, de croches et d'accidents. En artiste bicéphale, Frédérique Petit a fait évoluer en parallèle ses explorations musicales et plastiques. Aujourd'hui elle entremêle sa pratique pianistique à ses expérimentations tissées et brodées. Elle cherche l'harmonie de deux itinéraires qui viennent s'entrecroiser et se nourrir l'un l'autre, comme si le temps était venu de donner du sens à un cheminement artistique cohérent. Du sens, ou de la sensation ?

Dans ses créations, souvent conçues en série d'œuvres, Frédérique Petit cherche à contraindre son expression par un cadre restreint : petite dimension du format, contrainte de la technique, référence à son environnement immédiat, références aux œuvres de grands peintres, aux mots, à la lumière, aux ombres… D'un émerveillement pour la simplicité de l'univers domestique, pour la poésie des paysages, pour les jeux de lumières, elle tente de faire la source d'inspiration de son travail. Son œuvre semble alors très narrative. Ses personnages de la Ferronnière racontent des histoires, ses tapis évoquent des atmosphères, ses pots s'envolent… Cependant, dans ces exercices de style aux règles techniques précises, Frédérique Petit s'amuse des motifs pour en faire le prétexte d'explorations formelles. L'objet perd son sens et devient sensations colorées, jeux d'oppositions de textures, de motifs et, pour elle, l'expression d'un pur plaisir de la réalisation. Le matériel atteint toujours une dimension plastique et poétique dans l'interprétation formelle qu'elle en fait. Frédérique Petit va jusqu'au bout des analyses de formes et elle perd son geste dans de la sensation pure. Du sens, à la perte de sens... Du plaisir de l'observation à la délectation de l'œil imprégné de sensations colorées et de matières…

Frédérique Petit cherche maintenant à enlacer les itinéraires artistiques qu'elle a suivis en parallèle : celui de musicienne, pianiste-interprète, celui de plasticienne, technicienne du tissage, de la broderie et de la couleur. Cette liaison, certainement le fruit d'une maturité artistique, aurait pu entraîner le silence : au contraire, elle crée un formidable dialogue. Elle poursuit sur son cadre son exercice pianistique ; elle cherche l'harmonie des sensations qui l'émeuvent et dans lesquelles elle se perd. Mais c'est vers la sensation pure qu'elle dirige peu à peu ses arpèges brodées, c'est vers l'abstraction du geste qu'elle cherche à maîtriser pour se permettre l'oubli. Cette phase créative est conçue comme une évasion, comme une méditation hors du monde, en-dehors de toutes les contraintes techniques qu'elle parvient à dominer, pour une production sensorielle faite de bonheur simple.

Frédérique Petit a débuté son parcours d'artiste textile par l'apprentissage des techniques de tissage. Elle a coutume de souligner le fait qu'elle est entrée dans l'univers des fils en autodidacte. Et c'est cette démarche qui a dicté sa volonté d'explorer à chaque fois jusqu'au bout la technique qui la séduisait. Obstinée, ou passionnée, elle a cherché pour chacune de ses phases de travail à poursuivre un apprentissage efficace et perfectionniste. Elle crée ses machines, ses cadres, améliore ses techniques. Expérimente .
Le temps étiré de la création, le temps hors du temps de la contemplation, se croisent dans ses travaux. Sa relation au temps est un fil conducteur de la lecture de son œuvre. Et ce temps est aujourd'hui rythmé par un rapport à la musique : juxtaposition polyphonique de ses explorations thématiques de l'environnement, superposition de voix qui toutes se répondent pour évoquer l'univers de Frédérique Petit, mouvements elliptiques des fils qui tourbillonnent dans une subtile mélodie, harmonie de ses recherches chorales… En pianiste, Frédérique Petit rapproche au fil du temps ses créations actuelles de ses premières sensibilités. Elle met en parallèle deux démarches proches : celle de la broderie et du tissage, qui consiste à produire de la sensation dans le cadre contraint de la matière et de gestes qui doivent être parfaitement mesurés, celle de l'interprétation musicale, qui invite à sortir du cadre de la partition et de la difficulté technique pour produire du plaisir pur, pour soi, pour les autres. Art, technique, musique, poésie, toutes les expressions s'enchevêtrent et, le temps d'une œuvre, laissent s'envoler nos pensées.

Aude Le Guennec
Commissaire de l'exposition "Ballade" au musée du textile de Cholet
2008 Extraits du catalogue.
Frédérique Petit a en quelques années, acquis une place à part qui fait d'elle une des créatrices les plus importantes dans le domaine de la tapisserie contemporaine. Elle symbolise au mieux la recherche et le renouvellement dans le respect de la technique traditionnelle. Ses oeuvres représentent le plus souvent un enchainement de scènes où le sujet, paysage, ciel, intérieur, se dissout dans un tissage monochrome. La virtuosité technique n'est jamais gratuite et établit une relation très sensible entre les éléments d'exécutions parfaitement maîtrisés et un décor, qui, en dépit de ses dimensions réduites, garde un esprit très théâtral.

Extrait de L'Art Textile de Michel Thomas - Editions Skira 1985
"La tapisserie ne se conçoit qu'en grandes dimensions" affirmaient de manière péremptoire les peintres cartonniers qui, après-guerre ont fait redécouvrir au public français, puis mondial, un art tombé en désuétude. "La grande dimension n'a rien à voir avec l'espace" pourrait leur répondre Frédérique Petit, cinquante ans plus tard. De fait, les oeuvres qu'elle présente sont autant de fragments d'espace mesurés. Fragments de paysages, fragments de temps, fragments de textiles, fragments de sols.

Extrait de L'Art Textile de Michel Thomas - Editions Skira 1985
Les heures sont comme les croisures du tissu: une répétition, une scansion, une musique. Le textile est comme les heures : un recommencement, un enchaînement, une modulation. Il suffit de choisir. Ici, la bordure d'un tapis. Là, le carrelage qui se dissout. Plus loin, un tapis impraticable. Le spectateur remplira le manque, comblera le vide, trouvera la suite du motif, restituera l'échelle. En un mot, il sera à même de établir l'intelligence de l'espace. Dans la réalité multiple où l'(oeil se pose, où l'oeil s'égare, Frédérique Petit fixe la vision sur le point de départ du rêve.

Michel Thomas
Dépliant de l'exposition à Galerie Hansma - Paris 1994 
Poèmes
Remarquez que tout est lié dans une vie
Les nuances peuvent nous offrir une mélodie
Comme les gammes majeures et mineures
Peuvent nous rappeller les couleurs.
Et comme un fil que l'on déroule,
la musique de la vie,
rythme l'art qui s'en écoule,
au gré des croches, des soupirs et des harmonies.

Alma Charry
Sur la toile, tu avances fil à fil,
Apparaît alors un horizon 
De haies , de maisons
De coqs et de clochers.

Telle Arachné, tu crées ton univers
Fragile et sensible miniature
Et dans ce voile transparent
Point à point un monde surgit.

Douce et tenace, tu brodes ton chemin
Humble tracé qui fait éclore un rêve
Heureuse Parque qui dévide le fil 
Plutôt que de le rompre.
Eternel fil de vie que tu as su transmettre...

Corinne Rousselle
Tapissez votre papier
D'un peu de brouillard givré

Avec un soin extrême
saisissez un fil de la vierge

Accrochez-y votre plume
Légère comme un duvet
Qui parlera sans appuyer
Et sans percer
La fragilité
De la lumière dans le cristal

De la goutte d'eau
Qui ride la mare
De la beauté sans fard
De l'hiver blanc et gris

De ces idées légères
De ces écrits fugaces

Peut-être pour cette artiste miniaturiste

Naîtra-t-il
Le poème non dit
Le poème écrit
Qui transcrit
Sur un nouvel air
Cette chanson éternelle

  Paule Petit
Le fil se déroule, parfois linéaire, parfois emmêlé,
fil de soie ou de métal,
dessine, noue, échafaude,
conversations de pierres,
échos de nids,
murmures de papillons,
mots silencieux.

Etienne Charry
Presse